Artiste plasticienne aux techniques multiples, Ly-Rose n'a cessé d'explorer de nouvelles pratiques au service de la peinture. Depuis sa première toile à l'âge de dix-huit ans, et les Ateliers des Beaux-Arts en dessin, peinture, modelage, sculpture, c'est surement sa rencontre avec François Verdier, graveur, et la pratique de la gravure en taille douce et taille directe, qui ont transformé sa touche et sa palette, l'amenant à utiliser des matériaux non conventionnels comme l'argile marouflée sur toile, la poudre de marbre, les enduits... afin d'y pratiquer incisions et scarifications où la matière peinture peut «encrer» le creux, y laissant traces et empreintes, ce qui laisse une part importante au hasard et à l'accident, pourtant parfaitement maîtrisés. La peinture devient peau, marquée des cicatrices et tatouages du temps et de la vie.
Ly-Rose écrit aussi, mais, sur la toile le texte est secret, il est «mots pliés» et fonctionne encore en tant que trace, palimpseste de moments de vie superposés, exorcisme, comme si le désir et l'intention, la pensée formulée se noyaient dans la peinture. «J'y dis mes indicibles» dit-elle, en parlant des «Mots pliés».
Titulaire d'un Master 2 en Arts plastiques de l'Université Panthéon Sorbonne, et professeure agrégée d'Arts plastiques, Ly-Rose, partage maintenant sa vie entre Paris dans le quartier de Belleville, et le Marais poitevin, entre Niort et La Rochelle.
Plus de 350 expositions depuis 1984, en France et à l'étranger, de séries en séries:
Carrés/plis, Plis et cryptogrammes, Palimpsestes et peaux de peinture, Apparition/Disparition, Espaces, Espaces des possibles, Vita Brevis, Totolibobos de Belleville, Jazz, Pieds et fragments de corps, Arbres à palabres, L'île aux fleurs de dangers, Baignade interdite... Arbres...
L'Arbre est un thème récurrent depuis les années 1980, ou Ly-Rose a d'abord vu brûler une partie de la forêt de pins chère à son cœur sur la Côte Atlantique, puis la forêt équatoriale, quand elle vivait en zone forestière en Afrique. Mais la peinture de Ly-Rose nous parle aussi de la privatisation des îles, de la pollution des eaux, des humains qui courent après leurs fantasmes de richesse, des menaces qui guettent, mais aussi de la beauté ... Elle invente, rêve un monde et nous y invite.
Les Arbres
Jeune femme, en Afrique, j'ai été profondément marquée par la déforestation intensive de la forêt primaire afin de planter du café et du cacao.
De ce temps là, je garde encore le souvenir des convois de camions chargés des grands troncs empilés, de l'odeur du feu, de la disparition rapide des animaux et bien avant la prise de conscience tardive actuelle, de mon angoisse à l'idée des conséquences dramatiques que cette destruction aurait sur l'environnement et le monde vivant tout entier.
Mon véritable patronyme vient du chêne et de génération en génération, ma famille a travaillé et aimé le bois.
Mon rapport à l'arbre est donc très fort:
arbres africains bien sur, mais aussi oliviers, chênes, pins parasols, acacias... Pour moi, les arbres sont les colonnes vertébrales du monde, ils nous racontent notre propre histoire, nous enseignent la sagesse et la verticalité.
Je travaille souvent en techniques mixtes, avec un finissage à la peinture à l'huile sur marouflage de papiers ou empreintes afin de retrouver la texture de l'écorce, la nervure de la feuille, l'aspect plissé du tronc où s'enfouissent mes histoires.
J'aime écrire dans ma peinture: incantations au monde, histoires, pensées sauvages, voeux, secrets...
"Les toiles sont les pages des journaux intimes des peintres" dit Zao Wou-Ki. Moi j'y confie mes indicibles, aussitôt écrits, aussitôt oubliés.
Expliquer vient du latin Ex Plicare, soit Déplier. Mes mots sont donc des mots pliés. Ne cherchez pas à déchiffrer mes textes. Seul l'arbre peut les lire. Arbres à palabres
"La terre africaine… brûlante, brûlée vive à l’heure actuelle, par son manque d’eau, sa violence, ses guerres, sa course à la consommation, ses modèles occidentaux qui lui vont mal, Afrique essentielle mais en danger, vivier d’une jeunesse à l’énergie vitale débordante qui tente d’oublier son savoir ancestral et se fait violence, Afrique terre palpitante et pure, mais aussi poubelle et proie du reste de l’humanité. Afrique, tu meurs de soif le portable à la main ! Souviens toi de l'Arbre à palabres!
En Afrique, quand il y a un problème au village, on s’assoit sous l’arbre, et on parle, et ça peut durer des heures et des heures, chacun exposant son point de vue. L’arbre à palabres, c’est le lieu d’échanges et de communication par excellence. Sous l’arbre, s’opère la véritable lecture de la parole de l’autre.Dans ce monde de maintenant où la communication n’est plus forcément communicante, l’arbre me manque. Je le peins pour que les mots cessent d’être des reflets.» Arbres rouges, Arbres en cage, Arbres à mots, une peinture très peinture à la palette flamboyante, un retour vers l’abstraction, la trace, le signe des choses, travail en couches successives où le végétal et le verbe s'emmêlent pour mieux donner sens à la possibilité d'un monde meilleur. Nicolas Roussot